Les travaux de Hammersley et l’éducation au Québec : science, preuve et politique (2025)

Nous remercions les évaluateurs anonymes pour la qualité et la pertinence de leur rétroaction. Notre texte leur doit quelques passages particulièrement porteurs. Nous tenons à souligner toute notre reconnaissance envers les responsables de ce numéro thématique pour l’invitation faite d’y contribuer et de nous replonger dans les riches réflexions de Hammersley. Nous tenons par ailleurs à remercier MmeEmanuela Chiriac, bibliothécaire à la bibliothèque de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) pour son précieux soutien dans notre exploration des différents outils d’analyse bibliographique. Enfin, nous reconnaissons que nos travaux sont réalisés sur des terres faisant partie des territoires traditionnels non cédés de la nation algonquine Anishinabeg.

1Au cours des dernières décennies, le domaine des sciences de l’éducation a été marqué par d’importants débats sur les méthodologies de recherche et l’utilisation des résultats de recherche dans l’élaboration des politiques éducatives. L’un des acteurs clés de ces discussions est le chercheur britannique Martyn Hammersley, dont les travaux ont influencé de façon importante la manière dont la recherche en éducation est conduite et interprétée. Hammersley a vigoureusement défendu une approche méthodologique rigoureuse, tout en soulignant les limitations inhérentes à la traduction des résultats de recherche dans la pratique et plus particulièrement en offrant une critique toujours actuelle des prétentions et des préceptes associés au concept de pratiques fondées sur les preuves (evidence-based practices).

2Les méthodologies de recherche défendues par Hammersley mettent l’accent sur la complexité des phénomènes éducatifs et sur la nécessité d’adopter des approches flexibles et contextuelles. Il soutient que les méthodes de recherche doivent être adaptées aux questions posées, aux contextes spécifiques et aux acteurs concernés (enseignants, élèves, parents, etc.), plutôt que de suivre des protocoles standardisés, et ce, y compris lorsque vient le temps de réfléchir à la synthèse de travaux de recherche ou à leur transfert. Cette perspective remet en question l’idée qu’une méthodologie unique ou une hiérarchie stricte des méthodes puisse suffire à saisir la richesse des réalités éducatives. Elle permet qui plus est de poser de nouvelles questions trop souvent ignorées par les approches de recherche plus traditionnelles comme celles liées à la place des praticiens dans l’élaboration des protocoles de recherche, celles liées aux implications des injustices dites épistémiques, voire celles que font émerger les épistémologies féministes, décoloniales ou autochtones.

3Parallèlement, Hammersley a critiqué l’engouement pour les pratiques fondées sur les preuves dans l’élaboration des politiques éducatives. Il avertit que la dépendance excessive à l’égard des données probantes peut conduire à une sursimplification des problèmes éducatifs, négligeant les facteurs contextuels et les nuances nécessaires pour une mise en œuvre efficace des politiques. Selon lui, une telle approche risque d’ignorer les connaissances pratiques des enseignants et de sous-estimer l’importance du jugement professionnel.

4Au Québec, les idées de Hammersley ont trouvé un écho significatif parmi les chercheurs en éducation et dans différents domaines des sciences sociales. Dans le présent article, nous chercherons à témoigner de la richesse et de la diversité des travaux récents tout en soulignant ce qui pourrait être perçu comme des limites et qu’il pourrait être d’intérêt et approprié d’explorer davantage. En effet, alors que ses travaux ont contribué à une réflexion plus approfondie sur la manière dont les données probantes sont utilisées et sur l’importance de considérer les contextes locaux et les perspectives des acteurs sur le terrain, il semble qu’au Québec, les chercheurs ont plutôt retenu de lui ses travaux sur l’ethnographie et l’ethnométhodologie. Or, dans le contexte québécois actuel, ses réflexions sur les pratiques et les politiques éducatives semblent particulièrement pertinentes. La création récente de l’Institut national d’excellence en éducation (INEÉ) témoigne d’une volonté institutionnelle de promouvoir une conception relativement étriquée et non problématisée de l’efficacité et de l’excellence en éducation à travers l’utilisation de données probantes issues d’une certaine catégorie bien circonscrite de travaux de recherche. Outre le fait qu’il soit possible de se questionner sur la réelle pertinence de faire de l’efficacité une finalité éducative (Demers, 2016), l’idée même d’excellence pose plusieurs problèmes qui sont pourtant laissés en plan. Est-il question de l’excellence de l’école traditionnelle souvent mandatée de reproduire ou de former une élite? Peut-on réellement parler de l’excellence lorsqu’il est question des compétences citoyennes ou écocitoyennes que l’école devrait pourtant contribuer à développer ou, du moins, à entretenir? L’INEÉ s’oriente en fait vers une centralisation des connaissances et une promotion des pratiques fondées sur des preuves, ce qui soulève des questions sur la manière dont ces orientations seront mises en œuvre et sur leur impact potentiel sur le système éducatif québécois (Bachand & Demers, 2024 ; Laferrièreetal., 2024).

5Afin de réaliser un état des lieux québécois de l’appropriation des idées de Hammersley, cet article propose dans un premier temps d’explorer les méthodologies de recherche qu’il a défendues et d’examiner les critiques qu’il formule à l’égard des pratiques fondées sur les preuves. Ensuite, nous poursuivrons avec une synthèse des recherches menées au Québec qui s’appuient sur les idées du chercheur britannique. Cette section mettra en évidence l’appropriation faite par les chercheurs des universités québécoises de ses travaux et l’analyse qu’il est possible d’en faire. Enfin, nous envisagerons les perspectives et les chantiers possibles en lien avec ses travaux de Hammersley dans le contexte québécois. En nous inspirant de son travail sur les politiques de l’État britannique dans le contexte de la Covid-19 (Hammersley, 2023b), nous analyserons comment ses idées permettent de mieux comprendre les enjeux liés à la création de l’INEÉ, par exemple.

6Cet article vise ainsi à témoigner de l’utilisation faite et possible des travaux de Hammersley dans le contexte québécois. Il vise par ailleurs à contribuer au débat sur l’utilisation des données probantes dans les politiques éducatives au Québec en s’appuyant sur les apports critiques de ce chercheur. Il invite à une réflexion sur la manière dont la diversité des méthodologies de recherche et des approches critiques peut contribuer à des politiques éducatives plus efficaces, équitables et adaptées aux réalités du terrain.

7Le travail réalisé par Hammersley depuis la fin des années1970 dans le domaine des sciences de l’éducation est beaucoup trop vaste pour espérer en faire une honnête synthèse dans le cadre d’un seul article. Heureusement, ce n’est pas le mandat que nous espérons relever. Les réflexions que propose ce chercheur sur les pratiques fondées sur les preuves sont déjà suffisamment importantes et fécondes pour qu’elles méritent une attention renouvelée surtout considérant le contexte auquel seront confrontées les sciences de l’éducation dans les prochaines années, notamment au Québec où l’appareil gouvernemental affirme ouvertement sa volonté de fonder ses décisions et ses politiques éducatives sur ce qu’il nomme les données probantes, concept dont la définition est rarement explicitée, mais qui s’inspire de façon évidente du concept de pratiques fondées sur les preuves (Laferrièreetal., 2024).

8Hammersley écrit depuis le milieu des années1990 au sujet non seulement de la méthodologie de recherche (voir notamment Hammersley, 1995/2000, 2002, 2005, 2007, 2008, 2009, 2013, 2023a, 2023b), mais plus encore au sujet des limites et des risques associés à certaines prétentions de la recherche à guider des décisions ou des politiques à grande échelle. Comme plusieurs autres chercheurs (Biesta, 2010 ; Davies, 1999 ; Holmesetal., 2006 ; Saussez & Lessard, 2009 ; St. Pierre, 2006), Hammersley s’intéresse à l’origine médicale des pratiques fondées sur les preuves et aux liens étroits qu’elles entretiennent avec les préceptes et les visées de la nouvelle gestion publique. Sur ce plan, ses travaux et les réflexions qu’il propose s’attardent à montrer que non seulement les sciences de l’éducation sont difficilement comparables à la médecine dans ses pratiques ou dans ses finalités, mais aussi à illustrer le fait que, même en médecine, la prétention qu’ont certains artisans des pratiques fondées sur les résultats sont confrontées à des limites importantes qui ramènent le jugement professionnel des médecins au centre des pratiques.

9Les critiques que fait Hammersley des essais randomisés contrôlés (randomised controlled testing) ou des revues de littérature systématiques s’inscrivent dans cette optique. Pour le chercheur britannique, les essais randomisés contrôlés, véritables mètres étalons de la rigueur scientifique dans le contexte des pratiques fondées sur des preuves, présentent des limites telles que, même en médecine, dans le cas des tests sur les drogues, ils ne peuvent se tenir que dans les conditions les plus simples alors que sont évités les croisements avec d’autres maladies. Ces recherches peuvent ainsi difficilement permettre de standardiser les pratiques ou espérer prévoir l’ensemble des décisions que devra prendre un médecin traitant en toutes circonstances, en fonction de la combinaison particulière de maladies, d’habitudes de vie, d’enjeux de santé mentale et de l’historique des patients rencontrés (Hammersley, 2008, 2021).

10Au sujet des revues de littératures systématiques, il est tout aussi critique (Hammersley, 2008, 2013), alors qu’il soutient qu’une telle démarche, apparemment rigoureuse, se borne essentiellement à faire l’addition de travaux scientifiques sur une question très précise sans chercher à brosser un portrait plus complet des possibles enjeux et zones d’ombre qui lui sont associés. Il compare cette pratique à la construction d’un mur à partir de l’empilement de pierres somme toute assez similaires alors que, toujours dans cette optique des comparaisons imagées, la création d’une cartographie ou d’une mosaïque de pierres parfois bien différentes entre elles pourrait offrir un regard renouvelé (Hammersley, 2013). Une synthèse de la littérature qui adopterait la mosaïque ou la carte comme modèle aurait sans doute grand nombre d’informations plus ou moins pertinentes pour répondre à des questions très précises, mais permettrait assurément d’avoir une meilleure représentation des problématiques abordées et permettrait sans doute de faire émerger de nouvelles questions.

11Pour Hammersley, la recherche et la pratique sont ainsi rarement tout à fait compatibles. La fonction probatoire de la recherche ne peut être réellement transformée afin de servir des visées exécutives sans mettre en péril les deux domaines d’intervention. Bien entendu, comme l’écrivaient Draelants et Revaz (2022), il «vaut mieux fonder des politiques sur des connaissances solides, de préférence scientifiquement établies», mais de prétendre que la recherche permettra à elle seule de fonder des décisions politiques ou éducatives serait périlleux. À cela s’ajoutent les préoccupations que soulève l’association de fait entre le concept de pratiques fondées sur les preuves en médecine, en éducation comme dans plusieurs autres domaines et la nouvelle gestion publique (NGP). En effet, alors que la NGP, adoptant la logique managériale proprement capitaliste de l’entreprise privée, a pour visées l’uniformisation, la standardisation, la reddition de compte et la poursuite de l’efficacité des services publics et des décisions de l’État.

12Le chercheur britannique estime ainsi que de croire que les recherches seules pourront réellement guider des décisions effectives dans la pratique ou même identifier ce qui serait souhaitable dans tous les contextes relève d’attentes irréalistes envers la recherche. Les impératifs de la recherche, comme ses visées, ne sont pas les mêmes que ceux de la pratique. Pourtant, au-delà de ces attentes irréalistes, Hammersley (2013) identifie aussi des périls associés à l’idée de faire de la recherche et de ses résultats un outil de gouvernance. D’abord, il soutient qu’il existe un risque quant à la liberté académique des chercheurs nécessairement influencés non seulement dans leurs objets de recherche, mais aussi dans leurs pratiques d’investigation. Ensuite, il argue que les prétentions liées au concept de pratiques fondées sur les preuves laissent croire à l’existence d’un point d’objectivité parfaite du chercheur –comparable au point zéro décrit par Castro-Gómez et Grosfoguel (2007)– qui servirait ensuite à justifier une prétendue objectivité des décideurs s’appuyant sur ces preuves. Ainsi, non seulement les chercheurs seraient-ils plus ou moins induits en erreur, mais faire de la recherche un outil de gouvernance risque de mettre les décisions hors d’atteinte de la critique proprement politique. Hammersley rappelle par surcroît que les pratiques fondées sur les preuves ont tendance à surestimer la responsabilité et le pouvoir des individus et à sous-estimer l’importance des structures et des relations de pouvoir, créant ainsi des angles morts pouvant très bien servir les intérêts politiques de certains groupes.

13Hammersley s’inquiète ainsi du fait que cette orientation vers la pratique risque de guider ou de limiter le regard tout en structurant les pratiques et les décisions en fonction de ce qui aura été «évalué» ou jugé «efficace» sans égard aux priorités des personnes enseignantes ou même du système éducatif. La recherche pourrait, en somme, devenir un outil de plus dans l’arsenal de reddition de compte et servir au contrôle de qualité ou, à tout le moins, ne poser son regard que sur ce qui devrait faire l’objet d’une certaine régulation, offrant alors un portrait faussé et partiel de la réalité.

14Ainsi, pour Hammersley, dans bien des cas, la question de la traduction des résultats de recherche en pratiques semble devoir être retournée. S’il devait réellement être question d’améliorer les pratiques enseignantes, non seulement il importerait d’identifier avec les enseignants en quoi ces pratiques leur paraissent problématiques, ce qu’ils espèrent comme finalités et, seulement ensuite, réaliser des travaux de recherche cohérents avec ces orientations. Chercher à imposer par le haut des pratiques issues de travaux de recherche désincarnés n’est selon lui pas impossible dans des systèmes hautement hiérarchisés comme le sont généralement les systèmes éducatifs, mais ne permettra pas réellement de réfléchir à ce qui doit être fait à moins bien sûr que l’efficacité devienne, en elle-même, une finalité éducative (Demers, 2016).

15Comme il en sera mention dans la prochaine section, ce ne sont cependant pas nécessairement les travaux de Hammersley portant sur les pratiques fondées sur les preuves qui ont le plus inspiré les chercheurs québécois. En effet, si plusieurs travaux de chercheurs québécois construisent sur les assises proposées par Hammersley, la grande majorité utilise surtout ses travaux sur l’ethnographie en appui à leurs démarches d’investigation.

16Afin de bien juger de l’influence des travaux de Hammersley sur les chercheurs québécois, nous avons exploré l’ensemble des travaux réalisés depuis2010 par des chercheurs attachés à des universités du Québec et des équipes de recherche comprenant un ou plusieurs chercheurs québécois. Loin de réaliser un travail de revue systématique de littérature que critique Hammersley (2013), nous avons plutôt tenté de proposer une synthèse des domaines d’investigation de ces chercheurs et de l’utilisation qu’ils faisaient des écrits du chercheur britannique.

17Comme nous espérions juger de l’influence des travaux de Hammersley au Québec, nous avons d’abord cherché dans la base de données Érudit qui recense les articles scientifiques de revues canadiennes et québécoises (28revues scientifiques en sciences de l’éducation). À l’aide de cette base de données, nous avons trouvé 42articles (dont un article de Hammersley lui-même [Hammersley, 2014]) publiés depuis2010 qui faisaient référence aux travaux du chercheur. De ces articles seulement huit (8) étaient issus des sciences de l’éducation.

18Or, cette importante base de données ne permet de recenser que des travaux publiés au Canada et au Québec. Comme les chercheurs québécois publient aussi et surtout dans des revues publiées à l’extérieur du Canada ou du Québec –ce qui n’interdit pas que leurs travaux soient réalisés dans leur université d’attache–, nous avons choisi d’exploiter l’outil d’analyse bibliographique Lens.org. Cet outil permet de savoir quels articles cite un auteur en particulier et de classer ces articles en fonction de la région de provenance des chercheurs et même en fonction de leur université d’attache. Cet outil a ainsi permis d’identifier un corpus de 457articles citant les travaux de Hammersley publiés par des chercheurs québécois et canadiens depuis2010. De ces 457articles, 95 étaient le fait de chercheurs attachés à une université québécoise (anglophone ou francophone). La difficulté était ensuite d’identifier les articles liés de près ou de loin aux sciences de l’éducation. Lens.org, sur ce plan, propose des fonctions limitées et relativement problématiques. Selon le domaine, le sujet ou le champ d’investigation, il était possible d’identifier entre 78 et 135articles. Nous avons donc choisi d’exporter l’ensemble de ces listes afin de juger des redondances et des croisements qu’elles présentaient.

19Nous inspirant du travail de Savoie-Zajc (2019) sur les pratiques des chercheurs en lien avec la rigueur dans leurs recherches interprétatives, cette opération aura permis d’identifier 72articles publiés par des chercheurs du Québec qui ont ensuite fait l’objet d’une analyse de contenu. Encore une fois, notre objectif n’était pas de brosser un portrait bibliométrique simpliste et peu intéressant, mais bien de déterminer l’influence des travaux de Hammersley au Québec et au Canada. En ce sens, c’est réellement l’analyse de ces articles qui a permis la synthèse thématique qui suit. Cette analyse a été réalisée à l’aide d’un codage simple par mots clés. Une fois ce codage effectué, des regroupements logiques en été créés dans une optique de catégorisation (Mucchielli, 2009). Ces regroupements ont pris la forme d’une arborescence permettant de proposer une lecture de l’influence des travaux de Hammersley sur les recherches au Québec à travers cinq(5)axes. C’est l’analyse des articles qui a fait émerger cesaxes qui permettent de synthétiser l’ensemble des travaux réalisés et la nature de l’influence que Hammersley a eue sur les chercheurs québécois. La figure1 présente les cinq(5)axes issus de notre travail d’analyse.

  • 1 Maunier (2020) s’intéresse en fait au niveau collégial québécois qui s’incarne dans le réseau des (...)

20Avant d’aller plus loin, notons au passage que les outils bibliographiques actuels permettent difficilement de rechercher les thèses à partir des auteurs qu’elles citent. Il a donc été difficile de juger de la pénétration des réflexions de Hammersley dans les travaux des étudiants inscrits à la maitrise ou au doctorat en sciences de l’éducation. Nous avons ainsi trouvé seulement deux thèses de doctorat en éducation citant Hammersley (Maunier, 2020 ; Young, 2015) à travers l’analyse des références bibliographiques des articles recensés. Il importe néanmoins de noter l’importante utilisation faite par Maunier (2020) des thèses de Hammersley dans le contexte d’une analyse de la gestion axée sur les résultats (GAR) en enseignement supérieur québécois1.

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Figure1. L’influence des travaux de Hammersley sur les chercheurs du Québec en 5axes.

21Comme mentionné plus haut, notons d’abord que l’utilisation la plus fréquente des travaux de Hammersley par des chercheurs du Québec est celle de la justification simple de la démarche retenue. Que ce soit pour l’étude de cas (Ross-Lévesqueetal., 2024), l’ethnographie dans son ensemble (Pruneauetal., 2009) ou l’ethnométhodologie en particulier ou encore pour l’importance de la recherche qualitative (Hurtel & Chevalier, 2016) et ses qualités (Zhaoetal., 2024), une très grande proportion des articles analysés se bornent à citer Hammersley comme appui à leur démarche. Ces articles ne proposent généralement pas d’appropriation réelle des idées du chercheur. Dans ce premieraxe, il est ainsi difficile de parler d’une réelle influence ou du déploiement des idées de Hammersley dans un autre contexte ou afin de proposer de nouvelles interprétations ou de nouvelles lectures d’un phénomène.

22Dans cette même optique, le deuxièmeaxe, beaucoup plus marginal cependant, qui est apparu à l’analyse des articles citant Hammersley est celui de l’utilisation de certains de ses travaux de recherche empiriques des années1970 et 1980 notamment sur l’attention des élèves et l’intégration en classe. Cet axe semble appelé à disparaitre dans les prochaines années au Québec, mais il permet néanmoins de juger de l’importance de ces travaux dans la littérature et dans l’exploration de ces enjeux éducatifs. Cet axe était le fait de travaux relativement âgés ou réalisés par des chercheurs de l’extérieur du Québec, mais publiés au Québec. Les troisaxes qui suivent semblent plus porteurs.

23Le troisièmeaxe qui a émergé de notre analyse est celui de la fonction de chercheur et ce qui l’influence. À ce sujet, le travail de Golhasany et Harvey (2022) analyse de façon convaincante des effets que font peser les impératifs d’applications pratiques tout comme la nécessité de publier dans des revues scientifiques réputées sur la liberté académique effective des chercheurs. Ces auteurs estiment en effet que ces impératifs limitent ou contribuent à rétrécir les champs d’investigation possible non pas en raison de l’intérêt des chercheurs, mais en raison des critères nouveaux qui sont utilisés pour juger de leur production scientifique. Ce travail est particulièrement d’intérêt et, prenant appui sur certaines idées de Hammersley et d’autres auteurs, offre une lecture nouvelle d’un phénomène tout à fait d’actualité y compris dans le domaine des sciences de l’éducation. Dans cette même optique, Maunier (2020) rappelle, à l’instar de Hammersley (2002), que la fonction même du chercheur doit être réaffirmée. Pour cette chercheuse, il importe de rappeler que, dans le contexte d’une utilisation de plus en plus affirmée des données probantes pour justifier des décisions politiques, que le chercheur doit être «perçu non comme un technicien ou un législateur, mais comme “éclaireur”, dans la mesure où la recherche participe comme source de ressources cognitives auprès des acteurs, sans remplacer les savoirs provenant de l’expérience des praticiens (Hammersley, 2002)» (Maunier, 2020, p.24). Malgré ce que peut laisser croire cet extrait, il importe de noter que Hammersley ne sera cependant jamais réellement convaincu par ce passage dans les discours politiques de la recherche guidant ou déterminant la pratique à la recherche informant la pratique («the shift from evidence-based to evidence-informed pratice» [Hammersley, 2013, p.39]). L’auteur souligne que cette pratique informée par la recherche demeure largement non-théorisée et que le cadre logique dans laquelle elle s’inscrit (quête d’efficacité, dépossession des praticiens ou des citoyens, etc.) n’a pas été modifié. Pour Hammersely, il est bien difficile de distinguer le concept de pratique informée telle qu’employée à l’heure actuelle de la pratique fondée sur des preuves et risque même de rendre plus acceptable une idée dont les fondements et les visées n’ont pas été revus de façon sensible.

24Le quatrièmeaxe identifié est justement lié à cette question des impératifs imposés à la recherche en sciences de l’éducation, de produire des retombées pratiques ou de permettre qu’elles soient «traduites» en actions sur le terrain. Comme mentionné plus haut, Hammersley a souvent critiqué cette injonction à traduire en actions les résultats de recherche. Pour lui, la question se posait souvent à l’envers. La recherche ne devrait certes pas être étrangère à la pratique, mais s’il devait réellement être question d’améliorer les pratiques des enseignants sur le terrain, il ne s’agissait pas de leur transmettre un savoir abstrait créé dans un contexte différent et sans considération pour leurs pratiques effectives en classe. Il importerait plutôt de partir de ces pratiques réelles et contextualisées pour les analyser, proposer des améliorations en collaboration avec les praticiens, et les évaluer ensemble. Dans un numéro spécial des Nouveaux cahiers de la recherche en éducation auquel Hammersley (2014) a contribué, cette métaphore de la traduction (et de la translation) est explorée notamment par Schwimmer (2014) de même que Saussez et Périsset (2014) non seulement dans ses limites, mais aussi dans ce qu’elle pourrait permettre. La question de la traduction est ainsi posée dans toute sa complexité afin d’éviter qu’il en soit fait une interprétation simpliste et nécessairement réductrice. La traduction, comme l’interprétation ou l’appropriation en somme, doit permettre aux praticiens de proposer une lecture respectueuse de son contexte et de ses visées de travaux des chercheurs.

25Dans cette même optique de l’orientation vers la pratique, sans surprise, la question de l’importance à accorder aux données probantes est présente dans certains des articles analysés. Sur ce plan, outre le travail de Saussez et Lessard (2009) que nous estimons important de rappeler à l’attention des lecteurs, malgré qu’il ait été publié avant2010, plusieurs auteurs arguent comme Hammersley que l’accent mis sur les données probantes transforme le travail des chercheurs et lui impose des limites qui ne sont pas compatibles avec le travail d’investigation et la diversité des approches qu’il exige (Lessard & Carpentier, 2015 ; Maunier, 2019). Cela implique aussi une certaine humilité du chercheur en apparente contradiction avec le concept de données probantes. Comme le rappelle Maunier (2019), cette humilité est d’autant plus importante que le concept de pratiques fondées sur les preuves

est idéologiquement bien [adapté] au type de gouvernance néolibérale actuelle et, dans un monde obsédé par la performance au travail, le risque que la science soit réduite à une technique de gestion du «social» (au sens large) est réel (Freitag, 2018 ; Lessard & Carpentier, 2015). (Maunier, 2019, p.80).

26Toujours dans cet axe, certains chercheurs soulignent que la traduction des données de recherche vers la pratique court le risque de réduire les praticiens à de simples «récepteurs» de savoir produits à l’extérieur de leur milieu de pratiques sans réelle agentivité (Lysenkoetal., 2014 ; Thomas & Bussières, 2021). Encore une fois, le lien avec la NGP semble évident. Il mériterait néanmoins d’être exploré davantage dans le contexte québécois actuel.

27Notons enfin, toujours dans ce quatrièmeaxe, qu’il est assez éloquent que des chercheurs québécois en médecine (Bédard & Ouimet, 2016) s’approprient les travaux de Hammersley sur les pratiques fondées sur les preuves pour questionner leur propre discipline. Ils écrivent:

Comme dans tout domaine de rationalité pratique, il est plutôt improbable que les preuves puissent être le seul facteur décisionnel. Sous des contraintes pratiques et une rationalité limitée, on ne peut tout au plus espérer que des preuves valides et pertinentes seraient parmi les facteurs pesant dans un processus décisionnel et contribueraient, au mieux, à une justification de poids dans la détermination d’une voie d’action spécifique. [notre traduction] (p.2).

28Enfin, le cinquièmeaxe semble le plus fertile. Il s’agit de l’axe qui regroupe plusieurs travaux s’interrogeant sur la diversité des méthodologies de recherche qualitative. Cet axe se caractérise par la nature des réflexions que font les chercheurs. Il n’est pas ici question, comme dans l’axe1, d’utiliser les travaux de Hammersley pour justifier une démarche, mais bien de proposer des réflexions plus substantielles au sujet des approches qualitatives et interprétatives. Les réflexions des chercheurs québécois influencés par les écrits de Hammersley s’inscrivent dans une grande diversité de thématiques. Sur ce plan, l’analyse des articles retenus a permis de trouver des travaux novateurs dans le domaine de l’ethnographie. Côté-Boileau et ses collègues (2020) déploient certaines des idées de Hammersley dans le contexte organisationnel, ce qui, au demeurant, prolonge certaines idées que le chercheur britannique mettait de l’avant en lien avec la nécessité de réfléchir le changement dans les pratiques non seulement à l’échelle de chacun des individus pris isolément, mais aussi à l’échelle des structures (Hammersley, 2021). D’autres auteurs s’intéressent quant à eux aux pratiques antiracistes (Corneau & Stergiopoulos, 2012) dont avait traité Hammersley dans les années1990 (Hammersley, 1995/2000) ou la pertinence de l’analyse secondaire de données qualitatives (Borzillo & Deschaux-Dutard, 2022 ; Dufour & Richard, 2019). D’autres encore se sont intéressés aux réflexions de Hammersley (2013) sur les revues systématiques de littérature (Maunier, 2019) ou à la pertinence des approches inductives (Whitley & Zhou, 2020).

29Le cinquièmeaxe regroupe par ailleurs certaines réflexions épistémologiques plus larges. C’est le cas notamment de Van Den Berg et Jeong (2022) qui explorent, avec la collaboration de Hammersley lui-même, l’analyse que fait ce dernier du positivisme, de la neutralité axiologique et des approches critiques en concluant sur la proposition d’une certaine forme de positivisme démocratique au service de la critique. Un autre travail qui semble particulièrement d’intérêt et porteur est celui de Montreuil et Carnevale (2018) qui ont cherché à réconcilier ou à articuler l’herméneutique de Charles Taylor avec les méthodes de l’ethnographie. Leur travail a aussi débouché sur plusieurs enjeux éthiques liés aux activités de recherche. À ce sujet, bien qu’ils n’aient pas mobilisé Hammersley (2009), Otero (2020), dans son analyse de l’importance grandissante des comités d’éthique en recherche à travers le monde, reconnait sa contribution.

30L’analyse réalisée permet de voir l’éventail des prolongements qu’offrent les travaux de chercheurs québécois aux écrits de Hammersley. Bien que certains axes ou thématiques semblent moins porteurs, d’autres ont une vigueur qu’il convient de bien apprécier. Ce tour d’horizon, mis en relation avec la richesse des travaux de Hammersley, permet par ailleurs de noter l’étendue des possibles pour les chercheurs du Québec. L’œuvre de Hammersley pourrait être mobilisée de façon heureuse dans bien des champs qui lui sont étrangement imperméables pour l’heure. La prochaine section fera quelques propositions sur ce plan.

31Dans ce que nous avons appelé l’axe5 issu de l’analyse des travaux influencés par Hammersley, nous avons noté que Otero (2020) s’était intéressé à l’étude qu’avait faite Hammersley (2009) des prescriptions éthiques de plus en plus pressantes faites aux chercheurs. Hammersley est assez critiques de ces prescriptions s’inquiétant qu’elles ne fassent, à terme, plus de tort que de bien. Il soutient ainsi que non seulement des procédures administratives semblent remplacer les réelles réflexions éthiques qui devraient se tenir, mais qu’il n’est pas interdit de croire que ces procédures risquent d’influer sur les sujets ou les terrains de recherche qui feront l’objet d’investigations. Sur ce plan, les réflexions récentes d’Allaire (2022) au sujet justement du fonctionnement des comités d’éthique en recherche semblent témoigner d’un malaise grandissant dans ce domaine y compris au Québec. L’éthique en recherche, aussi importante soit-elle, ne risque-t-elle pas, dans son opérationnalisation plutôt bureaucratique, de limiter la liberté académique des chercheurs, de créer des angles morts, ne serait-ce qu’en raison de la charge de travail à investir pour rencontrer l’ensemble des prescriptions des comités d’éthique en recherche ? Ne risque-t-elle pas par ailleurs d’attribuer à certains groupes le privilège de ne pas faire l’objet d’un regard critique? Les travaux de Hammersley pourraient sans doute servir à analyser les enjeux liés à l’éthique en recherche au Québec, notamment en rappelant que l’éthique en recherche ou, pire, un code d’éthique plutôt simpliste, ne pourra jamais décharger le chercheur de l’obligation de poser un regard critique sur ses travaux, sur ce qu’ils éclairent, ce qu’ils permettent, ce qu’ils risquent de causer, mais aussi sur ce qu’ils évitent d’explorer et ce qu’ils omettent par dessein, par choix ou par facilité.

32Cela dit, il semble que l’essentiel de l’influence qu’ont les travaux de Hammersley sur les chercheurs québécois réside d’abord et avant tout dans leur appropriation de certaines des approches méthodologiques qu’il a mises de l’avant et de ses réflexions sur la recherche qualitative, même si la question des critères ou plutôt des caractéristiques qui permettent de juger de la qualité d’une recherche qualitative demeure, elle, bien ouverte (Hammersley, 2013). Ce sujet parait en effet pour le moins fuyant. Hammersley (2013) argue à cet effet que l’attente souvent faite implicitement que les chercheurs rendent leurs travaux suffisamment «transparents» que quiconque, même sans une grande expertise dans le domaine, puisse en évaluer la qualité devait être combattue. Il estimait du reste que la question de la qualité d’une recherche pouvait difficilement espérer avoir une réponse définitive ou même simple à aborder. Pour lui, il fallait admettre que même un collègue pouvait difficilement juger de la qualité d’un travail de recherche sans tenir compte de sa nature située et de la nature située du jugement porté notamment quant aux attentes qui lui seraient implicitement ou explicitement faites (Hammersley, 2013).

33On pourrait conclure que Hammersley, par ses réflexions, invite à nous questionner sur les aspects historiquement, socialement et culturellement situés de la réussite et l’excellence scolaire. À titre d’exemple, Meirieu (2024) ne rappelait-il pas dans une entrevue récente que ce qui inquiétait les chercheurs de l’éducation dans la première moitié du XXesiècle était bien plus la passivité des élèves que leur éventuelle hyperactivité pourtant si problématique cent ans plus tard? Le contexte d’appréciation de résultats de recherche et les attentes que ses lecteurs (et éventuels acteurs) portent seraient ainsi une variable dans l’appréciation de la qualité de la recherche. Comment ne pas reconnaitre, par exemple, le fait que des intervenants politiques aient non seulement un certain intérêt à identifier des pratiques enseignantes plutôt uniformes, mais aussi le pouvoir de les imposer ce qui risque d’orienter les travaux de recherche et l’importance relative qui sera accordée à leurs résultats? Cette avenue d’investigation semble particulièrement d’intérêt et fertile dans le contexte québécois actuel où l’impératif des résultats de recherche dits probants et capables de fonder les pratiques ou les politiques prend de plus en plus d’importance tout comme l’idée d’une hiérarchie des travaux de recherche plus ou moins «probants» et donc dignes de prescriptions.

  • 2 Pourquoi, par exemple, l’école à trois vitesses (publique, privée et avec des projets particuliers (...)

34Les travaux de Hammersley pourraient ainsi permettre d’aborder certains enjeux de gouvernance de l’éducation québécoise. Que ce soit à travers l’analyse des effets des rapports de pouvoir et des structures sur les travaux de recherche ou à travers une lecture nouvelle des décisions politiques en lien avec l’éducation, Hammersley propose des appuis tout à fait féconds qui permettraient notamment de mieux saisir pourquoi certains enjeux, pourtant très bien documentés, ne font l’objet d’aucune action alors que d’autres font l’objet d’une attention assidue2.

35Dans cette même optique, la création récente de l’INEÉ (Laferrièreetal., 2024) au Québec ou l’implémentation des prescriptions et des limites de la gestion axées sur les résultats (GAR) issue de la NGP (Bachand & Demers, 2023 ; Maroy, 2021 ; Maroyetal., 2022), l’analyse que fait Hammersley de la recherche, de l’importance du savoir pratique et de la distinction fondamentale entre la recherche et la prise de décision même éclairée par la recherche saurait contribuer à une lecture nouvelle du contexte éducatif québécois actuel.

36Dans un texte récent, Hammersley (2023b) s’affaire à analyser l’action du gouvernement britannique pendant la pandémie de Covid-19. Il s’interroge à savoir si ce contexte si particulier n’était pas l’exemple parfait de pratiques fondées sur des preuves alors que les décisions du gouvernement s’alimentaient presque en temps réel des travaux scientifiques les plus à jour. Il écrit:

Même dans les conditions relativement favorables à l’élaboration de politiques fondées sur des preuves créées par la pandémie, le rôle réellement joué par l’information scientifique dans l’élaboration des politiques était plus complexe et contingent que ne le suggère le modèle rationnel ou basé sur les preuves. Il y avait des lacunes, des incertitudes et des conflits dans les preuves disponibles ; la transmission de l’information aux décideurs était fortement médiatisée ; et un fossé subsistait entre les preuves scientifiques et les fondements de l’action politique, permettant à l’idéologie et aux intérêts de continuer à jouer un rôle. [notre traduction] (Hammersley, 2023b, p.238).

  • 3 En admettant que le «retour à la normale» soit souhaitable, ce qui n’était pas une évidence.

37Une analyse similaire réalisée, non pas à l’échelle de l’ensemble des décisions gouvernementales, mais à la plus petite échelle des politiques éducatives, pourrait s’avérer pour le moins pertinente et riche d’enseignements. En effet, l’analyse que fait Hammersley des décisions gouvernementales dans ce contexte si particulier permet néanmoins de remarquer que même dans ce contexte, malgré un consensus apparent, les résultats de recherche ne permettaient pas de prendre des décisions tout à fait éclairées et encore moins d’identifier les visées poursuivies. Dans le cas de la Covid-19, à partir du moment où il était possible d’admettre que le retour à la normale ne pouvait être espéré qu’à l’échelle de plusieurs années3, les décisions gouvernementales devaient avoir d’autres visées. En surestimant les effets d’une pandémie sur la santé de la population, ne courait-on pas le risque de mettre la stabilité économique en péril (Hammersley, 2023b) ? En somme, l’économie devait-elle servir la santé de la population ou la santé de la population devait-elle permettre une stabilité économique ?

38Dans le contexte du gouvernement conservateur très peu interventionniste cherchant à opérationnaliser le Brexit encore récent, le choix des visées à poursuivre n’en était pas un relevant simplement des recherches en épidémiologie ou en santé publique, aussi rigoureuses soient-elles. Les résultats de recherche ont pu influer sur ces décisions, mais au même titre que plusieurs autres facteurs, et ce, à plus forte raison que le temps de la recherche et le temps des décisions politiques sont loin d’être toujours compatibles. Une crise n’attend pas les résultats de recherche pour se déclarer.

39En éducation, alors que la visée de la réussite parait évidente et consensuelle, ce n’est que parce qu’elle est rarement problématisée. Quelle définition de la réussite l’INEÉ choisira-t-elle de retenir comme justification à ses recommandations ? Cette définition sera-t-elle même explicitée ou devra-t-on l’inférer à partir des travaux de recherche valorisés ? Des devis de recherche relevant notamment des essais randomisés contrôlés ou, à tout le moins, d’approches expérimentales ou semi-expérimentales semblent en effet appeler une certaine définition de la réussite, qu’il serait d’ailleurs, et de façon étonnante, possible de rapprocher d’une définition de sens commun au service d’une conception plutôt étriquée de la méritocratie. Quelles recherches seront alors mises de l’avant ou commanditées pour améliorer cette définition de la réussite ? Par ailleurs, comme dans l’exemple de la Covid-19 que propose Hammersley (2023b), n’est-il pas possible d’identifier des intérêts ou des biais idéologiques aux dirigeants de l’INEÉ, dont il conviendrait aussi de tenir compte, et auxquels la recherche, dans toute sa diversité de pratiques devrait s’intéresser ? À ce sujet, rappelons que l’INEÉ aura réellement les pouvoirs nécessaires et les réseaux d’influences suffisant pour déterminer les pratiques à adopter (Bachand & Demers, 2024) ce qui, dans l’optique des travaux d’Hammersley, en fait un objet d’étude particulièrement intéressant.

40Dans le présent article, nous avons cherché à brosser un portrait de l’influence des travaux du sociologue de l’éducation Martyn Hammersley dans l’activité de recherche des chercheurs québécois. Nous avons ainsi proposé une synthèse imparfaite, mais suffisamment étoffée pour permettre d’apprécier non seulement comment les chercheurs québécois s’appropriaient les écrits de Hammersley, mais aussi certains objets d’investigation qui semblent moins explorés ou pour lesquels les travaux du chercheur britannique permettraient peut-être de jeter un regard nouveau. Bien entendu, ce travail n’est pas exhaustif et n’avait pas la prétention de l’être, même si, comme Hammersley (2013) le demandait dans le contexte d’une revue de la littérature, un effort a été fait de ne laisser aucun texte pertinent de côté, ce sont donc 72articles publiés par des chercheurs du Québec qui ont été analysés afin de faire émerger non seulement les thématiques qui leur ont semblé les plus porteuses, mais aussi l’utilisation qu’ils en faisaient et les prolongements qu’ils proposaient. Enfin, nous avons proposé quelques avenues d’investigation qui pourraient profiter de la mobilisation des écrits de Hammersley afin d’éclairer le paysage éducatif québécois.

Les travaux de Hammersley et l’éducation au Québec : science, preuve et politique (2025)
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